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Du cannabis plein la tête

Dernièrement, dans le cadre d’un sondage téléphonique portant sur le cannabis, j’ai affirmé avec véhémence ma position en désaccord de son usage. Je me suis néanmoins abstenu de raconter ma vie à la dame qui faisait le sondage. Puisque, selon ma propre expérience, notre société paraît mal informée sur la schizophrénie, je préfère garder l’anonymat. Voici mon histoire.

 

J’allais à l’école primaire anglophone et nous apprenions à épeler. En préparation à un concours d’orthographe, j’ai fait connaissance pour la première fois avec le mot « schizophrenia ». Le cours n’expliquait malheureusement pas cette maladie. L’objectif de l’enseignant était tout simplement d’apprendre à épeler le mot, et non de le comprendre.

 

J’avais une famille très fonctionnelle, beaucoup de talent et toutes les chances de mon côté pour un très bel avenir. Ma mère était infirmière et a travaillé pendant quelques années à l’Institut Douglas. Elle avait un patient atteint de schizophrénie. Lorsque j’ai reçu moi-même ce diagnostic, elle n’y croyait pas. C’est ainsi que, sournoisement, cette maladie peut s’infiltrer dans nos vies.

 

J’achevais mon secondaire dans un collège parmi les plus huppés de ma région lorsqu’un enseignant nous a demandé de présenter un exposé oral dans lequel nous devions exprimer notre position sur un sujet de notre choix. J’ai choisi « La légalisation du pot au Canada » et j’ai présenté mes arguments en faveur de la légalisation. Je ne me souviens plus tellement de mes arguments, mais je sais aujourd’hui qu’ils ont motivé une erreur qui a chambardé ma vie.

 

Ma mère, qui aimait ses deux fils et se souciait naturellement de notre avenir, nous avait sensibilisés à propos des drogues et de leurs conséquences. Je n’ai toutefois pas hésité lorsque des amis, à 17 ans, m’en ont offert. Ma période de consommation de cannabis s’étend sur environ 10 ans (entre 1993 et 2003). Ma première hospitalisation a eu lieu en 1999 et, malgré les contre-indications, j’ai continué à me divertir avec cette drogue pendant 4 ans de plus.

 

Aux études universitaires, en 1997, j’ai fait pleurer ma mère en lui annonçant que je lâchais tout pour poursuivre un rêve. Dans une psychose, j’avais vécu une épiphanie et je m’étais engagé à suivre un « ange », comme dans la Bible. Pour résumer l’histoire, je me suis retrouvé dans une situation similaire à celle de Neo, le personnage principal du film La Matrice (1999). Il y a une scène dans laquelle il doit choisir entre deux pilules; une bleue et une rouge.

 

Ma psychose m’avait soumis à un dilemme, me forçant à choisir entre deux routes : celle qui m’entrainait vers une mission périlleuse mais extrêmement honorable et spirituellement prestigieuse, alors que l’autre menait à une vie très ordinaire dans l’inconscience et l’ignorance de plusieurs faits précieux aux fondements de la vie. Dans un tel dilemme et à cause de l’influence de la schizophrénie, je crois qu’il est normal d’avaler la mauvaise pilule… et c’est ce que j’ai fait.

 

Je considère qu’au cours d’une vie « normale » sans cette maladie, les gens voyagent sur des rails, comme un train. Ils suivent un parcours scolaire pour ensuite travailler, se marier et s’acheter une maison et un véhicule, comme tout le monde. Ces étapes de la vie s’enchaînent si un effort réaliste est fourni. Le dilemme engendré par la maladie pousse les personnes touchées à débarquer des rails. On bifurque ainsi dans un nouveau monde duquel il est très difficile de sortir.

 

Mon frère a tout près de mon âge. Je me suis toujours comparé à lui. Il a complété deux baccalauréats et une maîtrise, il a deux propriétés, deux chiens et tout le tralala d’une personne bénie par la santé.

 

De mon côté, j’ai vécu près de dix années sur les allocations pour contraintes sévères à l’emploi, alors que j’étais dans la force de l’âge. Heureusement, en 2009, la vie m’a révélé que je devais commencer à collaborer sérieusement avec la psychiatrie tout en m’accrochant fermement aux soins prescrits.

 

Je n’ai compris le lien entre ma consommation et ma maladie qu’en 2009, lorsque Télé-Québec diffusait le documentaire Du cannabis plein la tête. On y présentait des gens atteints de schizophrénie qui expliquaient leur vécu avec le cannabis et cette maladie.

 

À partir de 2009, je me suis fait une blonde (après 10 ans de célibat!), j’ai commencé des thérapies, visité des centres communautaires, fait un cheminement avec le Service d’aide à l’emploi et de placement en entreprises pour personnes handicapées, consulté un orienteur du Carrefour Jeunesse Emploi. Je suis retourné à l’école, j’ai obtenu mon diplôme et je me suis acheté ma première voiture.

 

Aujourd’hui, grâce aux médicaments et à mon entourage familial et professionnel, en tant que personne atteinte, j’ai une vie stable et j’occupe un emploi à temps plein depuis février 2013. Je suis marié et propriétaire depuis 2017.

Choisir entre deux routes

Si mes écrits vous ont aidé, s’il vous plait veuillez m’en informer ici et me dire comment. Ça serait très apprécié.

Épisode 1 : Épiphanie ou délire?
Histoirevraie1

En 1984, à partir de l’âge de 8 ans, mes parents m’inscrivaient à un camp d’été qui durait 2 semaines chaque année. C’était un camp chrétien. Mes parents souhaitaient que je bénéficie de cet encadrement religieux puisque ma mère était elle-même pratiquante.

J’étais parmi les plus jeunes enfants du camp cette année-là. Les autorités du camp nous initiaient à un rituel chrétien selon lequel nous « acceptions Jésus dans notre cœur ».

Pendant mon séjour dans ce camp, les enfants ont eu l’occasion de témoigner de la présence de Jésus dans leur vie. Certains d’entre eux en avaient long à dire, notamment sur le changement positif que Jésus avait contribué à leur vie. Pour certains, ce rituel avait changé leur vie profondément et très positivement.

Pour ma part, je ne constatais pas particulièrement de changement dans ma vie. J’ai posé la question à mon moniteur puisque je tenais à aller au paradis : Vais-je aller au ciel lorsque je mourrai? La réponse était claire; si j’avais réellement accepté Jésus dans mon cœur, alors, oui je pourrai aller au paradis après ma mort.

Dans ma tête, à cet âge, je croyais que c’est ainsi que la vie fonctionne. Si un adulte te l’affirme, c’est que ça doit être vrai. Néanmoins, je ne pouvais pas témoigner de la présence de Jésus dans ma vie.

En 1992, près de 8 années plus tard, j’avais environ 16 ans, j’allais au secondaire, je me suis fait des amis qui jouaient au jeu spiritiste nommé Ouija. On m'a dit que ce type de jeu était interdit par le christianisme. C'est néanmoins un jeu vendu dans les magasins de jouets. Mes amis n’avaient pas acheté les accessoires du jeu mais, avec une simple feuille de papier, un crayon et une cenne noire, ils arrivaient à reconstituer ce jeu d’une manière « fait maison ».

Et cela fonctionnait! À ma grande surprise, nous arrivions à distinguer la participation d’une tierce personne invisible lorsque nous nous engagions dans ce jeu. Je trouvais cela extrêmement fascinant. Cela a ajouté une certaine substance vivante au vide dans mon expérience concernant une certaine présence que je m'attendais à trouver en invitant Jésus dans mon cœur. Le rituel chrétien avait touché la vie des enfants qui témoignaient au camp, et de mon côté j’avais enfin trouvé de quoi témoigner avec Ouija.

Par la suite, j’avais essayé de jouer seul, mais cela ne fonctionnait pas. Je demeurais très fasciné par la spiritualité. Pendant ce temps, à cette période, je commençais à consommer des drogues illégales, notamment le cannabis.

En 1997, près de 5 années plus tard, j’avais 21 ans. Je revenais chez moi du travail après avoir consommé deux bières. Je traversais un parc en vélo et je réfléchissais à Ouija. J’ai à ce moment tenté de jouer à ce jeu sans accessoires… par le simple usage de mes pensées. Ne voulant pas interagir avec un esprit aléatoire ou malicieux et ne sachant pas la légitimité du christianisme, j'ai décidé d'initier le rituel en faisant appel à l’Esprit du bien. Je croyais bien faire.

J’ai à ce moment constaté une présence, un stimulus externe, un interlocuteur télépathique invisible… dans mes pensées. Au début d’une longue conversation avec celui-ci, j’y ai posé la question : Qui es-tu?

La réponse me redirigeait à la formule que j’avais empruntée pour initier la conversation. Elle semblait indiquer le nom Esprit du bien.

Pour moi, c'était une épiphanie. J'étais enfin en communication directe avec un esprit et je vivais la relation que je cherchais depuis mon enfance.

Suite à cette épiphanie, j'avais entreprit de redéfinir mes valeurs et, quelques temps après j'avais déterminé qu'il était « mal » de consommer la drogue. J'avais fait une promesse à l'Esprit du bien que je ne consommerais plus. Malgré cette promesse, je me suis retrouvé un soir parmi des confrères scolaires qui consommaient et j'ai tout de même facilement cédé lorsqu'on m'en a offert.

J'étais assis à une table au café-bar de l'université parmi mes amis qui jasaient entre eux. Je ne participais pas à la discussion pour le moment et je contemplais intérieurement l'effet spécial de mon joint. C'est à ce moment-là que l'esprit s'est manifesté de nouveau. Quelque-chose semblait certainement vouloir attirer mon attention en cognant fermement un toc-toc-toc sur la paroi interne de ma poitrine, m'incitant ainsi à constater que je venais de faire une grave bévue et que ça n'allait pas du tout passer inaperçu.

J'ai été obligé de quitter les lieux immédiatement et en douce car je n'avais ni les moyens ni le temps d'expliquer à mes amis que je devais quitter parce que « l'Esprit du bien avait l’intention de me réprimander pour mon erreur de jugement ». Le reste de ma soirée était donc dédié à l'une des occasions de mon expérience qui a contribué le plus à ma certitude en l'authenticité de mon interlocuteur télépathique.

Cette révélation était tellement déterminante pour ma définition de mon existence, de la spiritualité et de la mort. Elle a eu des répercussions majeures sur le reste de ma vie. À partir de cette nuit-là, je me suis lancé à la recherche de mon identité, essayant de définir qui je suis en réalité et ce que je voudrais vraiment obtenir de cette vie. J'ai abandonné le travail et l'école afin de me replier sur moi-même pour avoir la paix nécessaire pour pouvoir analyser de près ce nouveau monde qui s'est ouvert à moi. J'ai toujours été une personne curieuse qui questionne à peu près tout. Cependant avec ce nouveau contact qui semblait répondre à sa façon à à peu près toutes mes questions, j'étais bel et bien servi.

À travers ce nouveau monde, j'ai découvert des réalités que les peuples des sociétés les plus évoluées de nos jours ignorent. J'ai franchi les frontières morales qui encerclent les pourtant si vastes territoires de notre civilisation. J'ai bu d'une source, d'une eau qui n'a jamais coulé dans les rivières de cette planète. On m'avait gratifié du privilège de lire du livre de la vie, un document écrit par l'ancêtre de la nature. J'avais découvert une clef qui ouvrait une porte à un monde inconnu du vivant, mais pourtant si réel et soudain si palpable.

Un autre soir, peu avant d’être hospitalisé pour la première fois, j’étais assis et de nouveau sous l’influence d’une certaine drogue; cette fois c’était des champignons magiques. J’ai senti son regard m’empoigner. J’ai à ce moment-là goûté à l’essence de l’être qui m’ensorcelle depuis sa manifestation dans ma vie. Il transpirait d’un prestige de proportions bibliques, d’une profondeur épique et d’un solennel terrifiant et extrêmement déconcertant.

Ce n’est qu’une trentaine de jours plus tard, le 9 février 1999, que j’ai été transporté à l’hôpital… en psychiatrie. Suite à un suivi psychiatrique, on m’informa que j’étais atteint de la schizophrénie paranoïde.

Première hospitalisation
Histoirevraie2
Épisode 2 : Paranoïa et le syndrome de Truman

Après l’abandon de mes études universitaires en 1997, j’ai éventuellement épuisé mes réserves d’argent. Je ne me sentais pas capable de me soumettre de nouveau à un employeur et je travaillais obstinément sur mon projet d’entreprise qui ne me rapportait aucun revenu. J’ai demandé à mes parents si je pouvais revenir habiter chez eux et ils ont accepté volontiers.

Chez mes parents, l’atmosphère est rapidement devenue tendu. J’étais un homme dans le début vingtaine et je ne subvenais pas à mes besoins. Par-dessus tout, je m’opposais fermement au retour à l’emploi et j’avais l’ego trop gros pour accepter une demande d’aide financière du gouvernement. Je ne me considérais pas un BS.

Mes parents m’imposèrent donc un ultimatum : Je devais trouver un revenu ou quitter la maison. N’étant pas prêt à subvenir à mes propres besoins, et puisque nous étions en plein hiver, je ne pouvais pas prendre la porte, je me suis assis sur un divan chez mes parents et j’attendais la suite.

Mes parents ont téléphoné un CLSC pour obtenir des recommandations. On leur a conseillé d’appeler la police et c’est ce qu’ils ont fait.

En peu de temps, deux policiers se sont présentés chez nous et mes parents les ont accueillis et les ont laissé rentrer. Nous nous sommes assemblés dans la salle familiale de la maison, tous assis sur les divans, afin de discuter.

Ils ont vite constaté que je n’étais pas normal. Je comparais me soumettre à un emploi à la prostitution, dans le sens où je considérais que pour moi, me soumettre à l’emploi serait une disgrâce, un échange d’une partie de moi-même que je ne voulais pas offrir, pour de l’argent.

Un des policiers s’objecta en soulignant que sa fille qui subvenait à ses propres besoins en travaillant n’était pas une prostituée pour autant. L’autre agent répéta quelques fois que « nous ne pouvons pas vivre d’amour et d’eau fraiche ».

Ils m’ont mis les menottes et je suis parti avec eux en voiture en direction du poste de police.

L’un des deux agents m’a fait la morale un peu et je m’opposais verbalement en disant un peu n’importe-quoi. L’agent a fait quelques recherches et on m’a conduit au centre-ville à un foyer de sans-abris. Les agents ont discuté avec la direction du centre et ils m’ont laissé là avec un des représentants du centre.

Le représentant du centre m’a accueilli dans son bureau. Il m’a expliqué le règlement. En résumé, les clients du centre devaient accepter de faire des petites tâches dans le centre et autrement, ils devaient passer la journée dehors après le déjeuner jusqu’au soir pour le souper. Ils ne pouvaient être à l’intérieur que pour manger et dormir.

Puisque c’était le jour, je devais quitter, avec la liberté de revenir pour le souper à condition que j’accepte de me conformer aux règles. J’ai donc pris la porte. En regardant dans mes poches, j’ai trouvé un billet pour prendre le métro et un peu de change; suffisamment pour pouvoir payer l’autobus du retour. Je suis retourné chez mes parents.

Mes parents étaient absents. Il y avait un pensionnaire, un homme qui louait une chambre chez mes parents, qui avait laissé la porte débarrée. Je suis donc rentré et j’ai trouvé de quoi manger dans le réfrigérateur, puisque j’avais très faim.

Aussitôt que mes parents sont revenus à la maison, ils ont contacté la police. Cette fois, deux autres agents sont venus. Ils m’ont ramené au poste de police et cette fois, afin de pouvoir me garder en cellule, ils ont eu à émettre des accusations officielles : Méfait et Entrave à la justice.

J’ai donc passé une nuit en cellule.

Le lendemain, on m’a servi du fast-food, un burger quelconque et on m’a conduit à l’Hôtel de ville où j’ai comparu devant une cour. J’étais en menottes lorsqu’on m’a guidé dans la salle devant une juge.

Lorsque mon tour est venu, lorsque c’était le moment de traiter mon cas, on m’a demandé de me mettre debout devant la juge. J’ai exprimé mon souhait de me défendre sans l’aide d’un avocat. Je n’ai pas pu me défendre car la décision a été prise pour que j’aille me faire évaluer par un psychiatre. Donc, le 9 février 1999, deux policiers m’ont escorté à l’urgence de l’hôpital.

La salle d’attente débordait de patients. Je n’ai eu à attendre que quelques minutes avant d’être reçu. Le psychiatre en service s’est manifesté plutôt échevelé, comme s’il venait d’être dérangé d’un profond sommeil. Il m’a regardé quelques secondes et d’un air stressé et démotivé, il a indiqué aux policiers qu’il acceptait de me recevoir dans son bureau.

Dans la salle d’attente du bureau du psychiatre, j’essayais de me préparer mentalement. J’avais vu dans le passé récent un film dont l’héroïne s’était trouvée dans ma chaise et, sous la charge de la psychiatrie, elle s’en était sortie lobotomisée à coups de ciseau sous le front, une procédure qui avait en effet servi dans l’histoire récente.

Je n’allais pas traiter la situation à la légère et j’ai donc opté pour demeurer transparent.

L’entrevue semblait bien progresser. J’étais très nerveux, voire terrifié, mais le psychiatre était seul et il m’écoutait. J’ai donc vidé mon sac; j’ai mis sur la table ce qui me semblait pertinent. J’ai confié au psychiatre l’histoire de mes premières interactions télépathiques avec des esprits. Il prenait des notes.

Lorsque j’ai cessé de parler, il semblait en quelque sorte rassasié. Il m’informa que j’allais devoir commencer à prendre un médicament à partir de ce soir-là et qu’il allait m’installer en haut dans le Pavillon 2.

Le choc était accablant. J’ai ressenti une panique, puis quelques minutes plus tard, j’ai dû me pencher pour laisser le sang descendre dans ma tête car j’étais en train de perdre la carte.

Le premier préposé que j’ai vu, un énorme gaillard en uniforme, me donnait une impression du genre d’encadrement qui allait administrer ma nouvelle demeure.

Cette nuit-là, j’ai dû faire face à mon obligation de devoir ingérer des comprimés de produits chimiques conçus pour chasser des fantômes en altérant le fonctionnement du cerveau. Je devais coopérer avec un inconnu qui souhaite purifier mon esprit, sous les recommandations d’une science qui soutient que la communication avec l’au-delà est le résultat d’une défaillance dans les composantes biochimiques du cerveau.

Le lendemain, j’ai fait connaissance avec ma nouvelle maison : le Pavillon 2 de l’hôpital . J’avais été gratifié d’un séjour d’une durée indéfinie dans un aquarium plein de cas lourds. J’allais devoir me conformer à un horaire axé sur le bien-être des employés qui allaient nous gérer quotidiennement.

Il y avait 2 télés, une radio et deux téléphones pour ma nouvelle famille de 21 psychiatrisés. J’allais devoir partager ma chambre avec des gens qui sont différents, certains plus douteux que d’autres, certains ayant des problèmes chroniques de ronflement, d’autres dégageant une forte odeur corporelle due à un manque d’hygiène. J’allais devoir me contenter de me promener en jaquette bleu-poudre et sous surveillance étroite pour un certain temps.

Le fait que certains patients me disaient qu’ils étaient là depuis des années ne contribuait pas du tout à me rassurer. Il n’était pas rare qu’en pleine nuit, comme souvent dans le jour, nous étions assujettis à une scène angoissante d’un patient qui venait se lamenter au poste.

Jour après jour, je devais suivre le psychiatre dans son bureau pour essayer de clarifier les choses. Il se croisait les bras et, d’un air hautain, confiant et amusé, il cherchait à stimuler la conversation avec des questions clichés pour ce qui me semblait ne servir qu’à son divertissement personnel, un petit jeu qui, frôlait la perversion. Un jour, j’ai affirmé ma désapprobation des traitements, et il m’a répondu, « On va te soigner. »

Lorsque j’ai constaté ce cul de sac d’absurdité humiliante, j’ai décidé de cesser de coopérer. J’ai arrêté de prendre les antipsychotiques et de suivre le psychiatre dans son bureau. Dans ce contexte, je croyais qu’une telle décision me condamnait à rester. Je clouais mon propre cercueil.

Les jours passaient et un jour, j’étais étendu sur mon lit en petite boule et je soufrais. Psychologiquement, l’impasse m’était très difficile à supporter. Mais ce jour enfin, le psychiatre est venu me chercher; cette fois pas en m’offrant de le suivre, mais plutôt en me le demandant. Ceci m’indiqua qu’il avait quelque chose d’important à me dire. Je l’ai donc suivi dans un bureau.

La commission d’examen, un tribunal administratif, devait passer au bout de 3 mois pour évaluer mon cas et pour voir s’il serait admissible de me laisser sortir. Compte tenu les circonstances, étant donné mon diagnostic « psychose schizophréniforme » et mon refus de collaborer avec le plan de soins, le psychiatre m’affirma qu’il ne pouvait pas me rassurer quant à la décision probable du tribunal, mais il m’affirma aussi qu’il allait, ce jour venu, recommander ma libération.

J’ai donc maintenu le cap, et heureusement, après 3 mois d’hospitalisation, on m’a donné mon congé définitif de l’hôpital.

Premiere hospitalisation

Lors de mon deuxième gros épisode, aux alentours de 2007 (j’avais environ 31 ans), j’avais entamé des démarches pour me blanchir de ce que je considérais comme étant un faux diagnostic qui portait atteinte à ma dignité; selon les professionnels, je n’avais pas toute ma tête! J’étais, selon moi, un « stigmatisé » et un persécuté. Le diagnostic était, pour moi, une diffamation. Je ne prenais plus mes médicaments.

J’ai envoyé une mise en demeure au département de mon psychiatre. J’exigeais qu’il prouve que mes communications avec l’au-delà n’étaient pas authentiques, sinon il devait se rétracter en retirant par écrit son diagnostic.

Le temps passa et mon ultimatum demeurait sans réponse. J’ai donc écrit au Ministre de la Santé et ce courriel est aussi demeuré sans réponse. J’ai ensuite porté plainte au Premier Ministre et j’ai reçu une réponse du bureau du Ministre de la Santé me redirigeant au Service des plaintes de l’hôpital de mon psychiatre.

J’ai donc porté plainte à l’hôpital et je suis demeuré sans réponse. J’ai contacté le Collectif des droits de la Montérégie (CDDM) et leur représentante m’accompagna dans des démarches auprès de l’Aide juridique. L’Aide juridique refusa de traiter mon dossier.

Je persistais auprès du gouvernement. Je ne recevais pas les réponses souhaitées. Mes messages avaient passé du pacifique à l’agressif, et je m’attendais à des représailles. Cette attente donna naissance à mes fausses interprétations qui alimentaient une paranoïa et une nouvelle psychose.

Je croyais que des agents qui collaboraient avec ma psychiatre et le gouvernement m’épiaient et rentraient chez moi lorsque je n’y étais pas. Je croyais que des agents étaient présents dans les logements qui entouraient le mien, afin de m’épier à travers les murs et mon plafond, avec des systèmes et dispositifs spéciaux. Je croyais que les choses captées dans mon intimité étaient diffusées.

Je croyais capter des messages par Internet, par la télé et la radio; des réactions à ce qui était diffusé. Lorsque je sortais de chez moi, je croyais que les agents m’épiaient à partir de taxis et cessnas. Lorsque je rentrais chez moi, c’était comme embarquer sur une scène. Il n’y avait pas de repos.

J’ai entreprit de brûler des documents parmi mes écrits, qui représentaient pour moi ma collaboration avec l’Esprit du bien. J’ai brûlé un symbole de cette collaboration, une armoirie que j’avais créé pour représenter l’Esprit du bien, souhaitant ainsi me libérer de ma situation qui s’intensifiait, qui commençait à virer hors de contrôle.

J’ai fait une demande auprès de la communauté religieuse de ma mère, pour être exorcisé, puisque je croyais être possédé par des esprits, mais puisque cette communauté était d’une dénomination chrétienne qui ne croit pas en l’exorcisme, ils ont voulu plutôt m’offrir la prière. Je me suis rapidement retrouvé dans une rivalité virtuelle que je ne pouvais plus supporter… à un point tel que je me suis rendu.

Je suis retourné par ma propre volonté à l’hôpital psychiatrique où j’avais reçu mon diagnostic. Je considérais cela comme une résignation, une capitulation, mais aussi comme une décision d’affronter mon démon. Je me suis rendu par moi-même au cœur de mon terrain ennemi, dans l’antre du dragon.

Au cours de mon hospitalisation, j’ai entreprit de vérifier une de mes principales interprétations. Je croyais que des agents étaient logés au-delà du plafond du pavillon psychiatrique tout comme à mon appartement. Lors d’une sortie du pavillon, j’ai inspecté les alentours et j’ai constaté, j’ai pu voir de mes propres yeux que c’était impossible. C’est alors que j’ai constaté que j’avais tort; non seulement, il n’y avait pas d’agents qui m’épiaient à l’hôpital, mais aussi c’était désormais probable, à mes propres yeux, qu’il n’y en avait jamais eu autour de mon logement.

Graduellement, grâce aux soins médicaux et aux prières de mon entourage, tout ce tricot d’interprétations se débobina et je devais abandonner mes démêlées virtuelles et commencer à m’expliquer, à m’excuser.

Entendre des voix
Entendre des voix

Cela fait 20 ans que je porte mon diagnostic. Cela fait donc environ 20 ans que vis avec des symptômes de la schizophrénie paranoïde.

Entendre des voix, ce n’est rien de nouveau pour moi. Je les entends encore.

Ma maladie est contrôlée mais, tout de même, je les entends encore.

Je répète, à ceux qui veulent savoir, que ces voix ne sont pas comme celles des gens qui m’entourent; elles ne font pas vibrer mes tympans. Elles ne voyagent pas sous forme d’une onde à travers l’espace. Leur apparence ressemble davantage à un interlocuteur dans mes pensées.

Leur message prend la forme d’une réflexion qui se formule en phrases.

Par moments, ces voix sont beaucoup plus présentes. Je les constate, sans les entendre, je les perçois.

Leur ton, leur intensité et le sujet véhiculé ne sont pas uniformes. Ils varient d’un moment à l’autre; parfois intenses et parfois presque invisibles ou difficiles à percevoir.

Parfois, elles semblent légères, positives, chaleureuses, encourageantes et bénéfiques. Comme la voix d’un ange, elles m’apaisent. Elles sont porteuses d’espoir, elles me font trouver la confiance en moi.

Toutefois, parfois elles m’imposent un défi. Parfois elles sont ratoureuses et trompeuses. Elles peuvent empêcher de dormir et pousser à agir, faire des erreurs. Comme un sergent instructeur qui me crie par la tête, elles sont impossibles à ignorer, parfois même imposantes ou intimidantes.

Parfois elles jouent avec mes sentiments, elles mettent de la lumière sur de mauvais souvenirs, des moments honteux de mon présent ou de mon passé, elles m’obligent à faire face à des craintes, des dilemmes, des idées controversées qui habitent dans les recoins de mon jardin secret. Parfois elles me mettent en scène, dans mon imagination, dans le péché, le crime, la perversion, l’abus ou la violence. Elles peuvent parfois être noires.

Elles peuvent se manifester ainsi comme un coup de vent violent qui me déconcentre, qui m’empêche de me concentrer sur ce que je fais.

Parfois le ciel se couvre et la tempête fait rage. Les forts vents poussent les branches de l’arbre dans toutes les directions.

Je pense que ce qui assure que le tronc de l’arbre ne se brisera pas, en plus des soins médicaux, se trouvent plusieurs ingrédients, plusieurs agents fortifiants. En tant que personne atteinte, ce qui m’a permis de faire face au vent c’est le sentiment d’appartenance à un entourage sain et présent qui me soutient bien dans les moments difficiles, et qui me procure du bonheur lorsque le vent s’apaise.

 

J’ai eu besoin d’outils et de ressources pour m’aider à me remettre sur les pieds, pour m’aider à reprendre confiance en moi après la tornade.

En tant que personne atteinte, mon périple aura été comparable à devoir apprendre sur le tas à piloter un avion qui manque une aile et qui est déjà en plein ciel. Personne ne peut faire cela en étant seul.

La Fenêtre
La Fenêtre

En consommant la molécule interdite, je regardais à travers la fenêtre. Comme une paire de lunettes, cette molécule m’a permis de voir s’animer le vivant derrière la vitre. Cette constatation m’a stupéfait. Ce stupéfiant m’a stupéfié. Certains parlent d’hallucinations et moi, je parle d’une révélation.

Je vois toujours très bien le cadre de cette fenêtre; je sais très bien où le trouver. Le vivant qui s’anime au-delà, toutefois, n’est pas aussi clairement visible mais je ne crois pas… je sais qu’il y a du vivant au-delà.

La molécule prescrite transforme la fenêtre en hublot et elle me permet de m’intéresser aux choses du monde de l’éveil; le monde du « vivant » non-trépassé. Elle me permet d'assurer ma rentabilité.

 

Grâce aux soins prescris, je suis moins distrait par cette fenêtre. Grâce à la psychiatrie je suis rétabli, j’ai une vie « normale ».

Mon rétablissement de la schizophrénie paranoïde
Mon rétablissement de la schizophrénie paranoïde

On m'a diagnostiqué une schizophrénie paranoïde depuis le début du siècle. Je crois que tant que je maintiens la collaboration avec les professionnels et leurs recommandations, je suis rétabli. Je comprends que parmi les nombreux facteurs qui m'ont aidé à me remettre sur pied, il y a :

  • Admettre et comprendre que j'ai vraiment cette maladie;

  • Mon appréciation de la santé et de la discipline (respecter les traitements et les professionnels, et rester à l'écart des déclencheurs);

  • Avoir des parents aimants qui m'ont soutenu dans une mesure raisonnable;

  • Avoir un psychiatre en qui je peux avoir confiance pour m'aider;

  • Vivre dans une zone qui offre des soins de santé abordables (y compris des médicaments efficaces);

  • Mon souhait de vivre une vie saine et de pouvoir subvenir à mes besoins;

  • Mon respect de la loi;

  • Ma volonté de faire le bien.

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